La Genève internationale : expertise, défis et perspectives
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- Date : 2022-12-01
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01-Introduction
Depuis la création de la Croix-Rouge il y a 150 ans, la Genève internationale s’est considérablement développée et diversifiée et constitue actuellement un des premiers pôles de gouvernance mondiale. Elle incarne ainsi un engagement international majeur de la Confédération suisse et de Genève en faveur de l’humanité. La Genève internationale, ou Suisse internationale par Genève, est également un instrument précieux et une plateforme de première importance pour la politique extérieure suisse. Par sa longue tradition humanitaire, elle incarne des valeurs centrales de la politique extérieure suisse, dans lesquelles une vaste majorité de la population du pays se reconnaît. Enfin, la Genève internationale est une composante essentielle de l'identité de Genève, ainsi qu’un acteur économique considérable pour l’Arc lémanique. Ce rôle d’Etat hôte est fermement ancré dans la tradition humanitaire du pays et dans sa politique des bons offices. Les activités internationales se déroulent à Bâle, à Berne, dans le canton de Vaud et surtout à Genève. La ville de Genève héberge, en effet, à elle seule 39 institutions, organisations et organismes internationaux, ainsi qu'un secrétariat créé par un traité, environ 750 organisations non gouvernementales (ONG) et les représentations permanentes de 179 États, dont la Suisse.
La politique d’accueil active et continuellement adaptée des organisations internationales (OI), des représentations des pays membres et de la société civile a réussi à faire de Genève, et donc de la Suisse, un pôle de compétences reconnu dans les domaines suivants :
1. La paix, la sécurité, le désarmement.
2. L'action et le droit humanitaires, les droits de l’homme, les migrations.
3. Le travail, l’économie, le commerce, la science, les télécommunications.
4. La santé.
5. L’environnement, le développement durable.
La Genève internationale est aussi une composante essentielle de l’identité de Genève, ainsi qu’un acteur économique considérable pour l’Arc lémanique. Selon une estimation de l'Institut CREA de l'Université de Lausanne, en 2009, les OI, missions permanentes et ONG ont contribué à hauteur de 9,2% au PIB genevois. En 2012, les OI sises à Genève employaient 22’233 personnes, en progression de 2,9% par rapport à 2011, dont près de la moitié vit à Genève et 40% en France. En 2011, 2'200 personnes travaillaient pour les 250 ONG ayant un statut consultatif auprès de l’ECOSOC. Les représentations étrangères employaient quant à elles 3’881 personnes en 2019. La Genève internationale emploie ainsi plus de 28'000 personnes, ce qui représente environ un emploi sur dix à Genève. On a par ailleurs estimé à 19'000 le nombre d’emplois indirects liés à l’activité de la Genève internationale pour le canton de Genève et à 4'000 pour le canton de Vaud. La consommation d’ordre privé de la part des employés des OI est estimée à CHF 1.3 milliards pour le canton de Genève et à CHF 200 millions pour le canton de Vaud. Au niveau des OI, ces dernières dépensent annuellement CHF 1.6 milliard (CHF 1.3 milliard à Genève), en termes de marchandises, services et investissements.
La Genève internationale en chiffres c’est :
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42 organisations internationales dans le bassin lémanique (45 au total en Suisse) ;
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179 États ;
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Env. 750 Organisations non gouvernementales (ONG) ;
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Env. 32'000 fonctionnaires internationaux, diplomates et représentants de la société civile ;
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Plus de 4'700 visites par année de chefs d’Etats et de gouvernements, ministres et autres dignitaires ;
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Plus de 4'000 conférences par an organisées en présentiel, en téléconférence ou en hybride et suivies par env. 366'000 délégués du monde entier.
02-Domaines d'expertise de la Genève internationale
1-Paix, sécurité et désarmement
Genève est considérée comme un centre de médiation et de négociation internationale. De nombreux conflits ont pu être évités ou résolus à Genève. Les États y viennent régulièrement pour mener des discussions sensibles, dans un espace reconnu par tous comme étant propice au dialogue.
Genève est le siège de la Conférence du désarmement et accueille un large éventail d'activités liées au désarmement. Genève est également le siège de plusieurs acteurs internationaux impliqué.
2-Action et droit humanitaires, droits de l’homme, migration
Depuis la création du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 1860, c'est depuis Genève que se coordonne l’aide aux victimes de catastrophes naturelles et de conflits.
Véritable plateforme de l’humanitaire, Genève offre un cadre idéal pour coordonner l'action humanitaire, permettre un dialogue stratégique et élaborer des politiques communes. Ceci permet d’apporter assistance et protection aux réfugiés et à ceux qui en ont besoin.
Avec la présence du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, du Conseil des droits de l’homme, des secrétariats des divers traités internationaux en la matière, des principales ONG actives dans le domaine, ainsi que d’experts mondialement reconnus, Genève est un lieu incontournable pour la promotion et la protection des droits humains.
3-Travail, économie, commerce, science et télécommunications
Siège de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de l'Organisation internationale du travail (OIT), de l'Union internationale des télécommunications (UIT), de l'Organisation internationale de normalisation (ISO), de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de bien d'autres organisations, Genève est le lieu où sont abordés les défis socio-économiques mondiaux. Les règles du commerce international, les questions de propriété intellectuelle, la protection des droits du travail, les cadres réglementaires et les normes en matière de télécommunications, d'appareils électroniques ou de transports sont discutés et élaborés ici.
En tant que siège de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), Genève est également à la pointe de la recherche en physique fondamentale, pour découvrir de quoi est fait l'univers et comment il fonctionne.
Genève est également un centre universitaire et intellectuel, où les universitaires et les organisations internationales partagent leurs connaissances au quotidien.
4-Santé
Genève est un centre majeur dans le domaine de la santé publique. Siège de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), elle accueille également la plupart des nouveaux acteurs du domaine, tels que GAVI, le Fonds Mondial, DNDi ou GARDP. D'éminents experts d'organisations internationales, d'ONG et du secteur privé se réunissent ici pour concevoir et mettre en œuvre des stratégies visant à améliorer la santé mondiale.
C’est également à Genève que la lutte contre le COVID-19, le VIH/SIDA, la tuberculose ou le paludisme est coordonnée, et que des solutions concrètes sont mises en place pour faciliter l’accès des plus démunis aux médicaments, aux soins et aux programmes de vaccination.
5-Environnement et développement durable
Genève est un hub mondial pour la gouvernance environnementale. C'est à Genève que s'élaborent des réponses aux défis environnementaux de notre temps, comme le changement climatique, la préservation de la biodiversité, la déforestation ou encore la gestion des déchets dangereux. Genève accueille également la plupart des secrétariats des conventions dans le domaine environnemental, leur permettant ainsi de coordonner leurs activités. Genève donne également l'exemple en promouvant un multilatéralisme neutre sur le plan climatique.
03-Les défis de la Genève internationale
La Genève internationale et la politique d’accueil suisse doivent faire face à une modification rapide de l’environnement international, marquée notamment par la fragmentation de la gouvernance mondiale et la crise financière. Ces nombreux défis nécessitent des efforts et des ressources supplémentaires. Il s’agit ainsi de réfléchir au maintien et au développement de l’attractivité et de l’excellence de la Genève internationale en anticipant les thèmes qui occuperont l’agenda international et en favorisant la visibilité des acteurs présents à Genève sur ces sujets. Il faut également mieux exploiter les ressources offertes par la présence sur un même territoire d'un ensemble unique d'organisations internationales, de missions permanentes (MP), d'organisations non gouvernementales (ONG) et d'institutions académiques.
On peut résumer ces principaux défis stratégiques dans les points suivants :
-La complexité des thèmes :
La complexité des thèmes discutés est particulièrement importante à Genève. Notre monde fait face à des problématiques globales (climat, environnement, santé, paix et sécurité, développement durable, crises humanitaires) particulièrement complexes à traiter, car elles sont interdépendantes, de grande ampleur et évoluent rapidement. Cela se reflète dans les discussions à Genève. Ainsi, il n’est plus possible, et il le sera encore moins à l’avenir, de traiter un sujet en faisant abstraction de ses différents aspects et des nombreux liens existants avec d’autres secteurs. C’est une réalité qui se manifeste pour tous les thèmes et dans tous les secteurs. La problématique des médicaments sera traitée au sein de l’OMS, mais également par l’OMPI dans ses aspects de propriété intellectuelle, par l’OMC sous un angle commercial, dans le domaine des droits de l’Homme sous ses aspects d’accès aux médicaments, et par les organisations humanitaires dans leur action sur le terrain. La même approche multisectorielle est évidente en matière de changement climatique touchant l’environnement, mais aussi le développement économique et social, les phénomènes migratoires, les droits de l’Homme, les actions humanitaires et le développement politique et institutionnel. Ces différents développements qui caractérisent les relations internationales sont au centre de l’activité de la Genève internationale par la présence de nombreux acteurs-clé dans ces différents domaines et par les nombreuses conférences et rencontres qui s’y tiennent. Cette complexité des thèmes traités, la nature et l’origine diverses des acteurs qui travaillent sur ou sont touchés par ces différents sujets, mettent en relief l’importance cruciale de l’apport intellectuel au traitement de ces dossiers et la nécessité impérieuse de favoriser les synergies, notamment à travers l’information et l’échange d’expériences.
-Un potentiel de synergies sous-exploité :
Malgré la concentration sur un territoire de quelques dizaines de kilomètres carrés de tous les principaux acteurs de la coopération internationale, les liens entre organisations et entre domaines d'activité sont relativement faibles, à l'heure actuelle, l'avantage qui fait la spécificité de Genève par rapport à toutes les autres villes internationales, est sous-exploité. Il s'agit donc de mieux utiliser le potentiel de synergies en mettant en valeur les ressources existantes et en facilitant les échanges interinstitutionnels.
-L’universalité :
L’attrait de New York pour les OI et la communauté internationale en général est due à la présence des principaux organes politiques des Nations Unies (Assemblée générale, Conseil de sécurité, Secrétariat général). La propension à réunir autour de ces organes politiques d’autres entités ou à renforcer davantage encore leur rôle a tendance à croître. L’autre caractéristique de New York est le caractère universel de la présence des Etats membres. En 2019, des 193 Etats membres des Nations Unies, 192 sont présents à New York avec une mission (seul est absent Kiribati). C’est un atout important, car il offre aux Etats une infrastructure sur place dont ils ne disposent pas ailleurs, d’autant plus pour les Etats qui n’ont pas les moyens de financer un réseau de représentations trop important. Cet avantage place New York dans une catégorie à part par rapport aux autres villes abritant des OI. Genève avec 170 Etats membres de l’ONU et deux Etats non membres (Saint-Siège et Palestine), représentés par une mission arrive en deuxième position, mais ne se situe pas dans la même catégorie que New York. C’est un défi qu’il faut relever, car il constitue un avantage comparatif permettant de distinguer une capitale multilatérale d’une autre. La présence de tous les Etats membres des Nations Unies permet de disposer d’un argument de taille pour attirer des entités internationales et des conférences, car les pays concernés disposent des infrastructures nécessaires pour participer aux réunions internationales et pour soutenir les délégations venant de leur capitale. L’universalité recherchée ne saurait être purement numérique; il s’agit de permettre à des Etats souverains, qu’elles que soient leur taille et leur puissance, d’être en mesure de participer aux débats multilatéraux, y apporter leurs contributions, au besoin en renforçant le soutien en termes logistiques ainsi que de capacity building aux missions des pays les moins avancés.
-Revendications du Global South :
Avec l’arrivée sur la scène internationale de nouveaux Etats, la compétition pour héberger de nouvelles entités multilatérales est devenue encore plus forte. Les villes internationales classiques, en grande partie situées sur le continent européen, qui, outre New York, étaient jusqu’à présent considérées comme les hôtes naturels des organisations internationales, sont confrontées aux revendications légitimes venant d’autres continents et reposant sur des arguments de représentativité géographique et de nouvelles réalités politiques, ainsi que, souvent, sur des offres matérielles très alléchantes. Pour Genève, la plus importante par la taille, il s’agit de se positionner par rapport à cette concurrence très forte qui vise à drainer de nouvelles organisations sur d’autres continents à la suite de décisions d’ordre politique et à déplacer une partie des services actuellement à Genève vers des localités considérées comme plus avantageuses financièrement. Un consensus existe quant aux secteurs traditionnels de la Genève internationale, qui font sa renommée et où elle a un leadership et une plus-value reconnus, à savoir : le droit et l'action humanitaires, les droits de l’Homme, l'économie et la science (CERN), la sécurité et la paix, la santé. Il reste le secteur de l’environnement, où de nombreuses entités internationales, dont cinq secrétariats de conventions, de nombreuses ONG et le secteur privé, sont établies à Genève, bien que d’autres organisations importantes dans le domaine soient ailleurs. Un renoncement à de nouveaux sièges dans ce secteur, prioritaire pour la politique suisse, serait particulièrement incongru. Les cinq clusters, à la suite des développements décrits plus haut, sont liés par une structure transsectorielle marquée, qui est d’ailleurs une des caractéristiques et des forces de la Genève internationale. Par ailleurs, le secteur de l’environnement, au sens large, est un des secteurs les plus orientés vers le futur de par un élargissement de sa sphère d’action et d’impact. La thématique de l’environnement implique, au-delà de la protection de l’environnement, notamment la biodiversité, le développement économique et social, les migrations, la santé, ainsi que les droits de l’Homme. Il s'agit là de domaines où la Genève internationale est très présente et doit développer, grâce à cette densité, un apport qualitatif de haut niveau.
Faut-il développer des alliances? Si oui à quelle fin? Des ententes informelles (gentlemen’s agreements) existent entre la Suisse et certains Etats européens.
Cette coopération pourrait être valorisée dans les efforts de rationalisation du système onusien et vis-à-vis d’une certaine tendance à la centralisation autour du Secrétariat général, notamment pour des services qui travaillent pour des organisations majoritairement établies hors du continent américain. Il semble par contre moins opportun et rationnel de ne pas soutenir l’établissement d’entités internationales sur d’autres continents, qui outre une légitime revendication politique, peuvent faire valoir une proximité avec le terrain, ceci avec la nécessaire vérification d’une gestion rationnelle des ressources, valable pour tout le système. Sans revendiquer l’installation exclusive à Genève des entités internationales, qui ne serait d’ailleurs pas réaliste, une approche ouverte pourrait être apportée par les nouvelles technologies et par le travail en réseau. La coopération entre différentes localisations est déjà pratiquée, notamment par certaines organisations environnementales comme l’UICN, dont le réseau réunit de très nombreux Etats, ONG et experts dans le monde entier, ou le WWF. Genève pourrait développer l’initiative dans ce secteur, d’autant plus qu’il bénéficie de la présence d’un secteur privé actif dans ce domaine et dans son financement. L’objectif serait d’envisager la création de nouvelles alliances, sous forme de partenariats avec d’autres Etats hôtes d’organisations et de conférences internationales. Dans cette nouvelle approche, la Suisse contribuerait au développement de la gouvernance mondiale en mettant en valeur la riche production intellectuelle et pratique des clusters de l’Arc lémanique. Dans cette perspective, la Genève internationale ne serait pas seulement un centre multilatéral majeur, mais également une « marque », celle d’une « école » ou d’un laboratoire où s’élaborent des solutions de gouvernance pour notre monde globalisé.
-La gouvernance mondiale :
La gouvernance internationale est en profonde mutation. Les règles largement établies au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale sont contestées par les Etats qui n’étaient pas présents lors de leur établissement et qui, depuis, ont gagné en stature économique et revendiquent, s’ils ne l’ont pas déjà acquise, une place sur l’échiquier politique international. En même temps, les groupes à participation restreinte (G-20 et organisations régionales) revendiquent une responsabilité déterminante dans la conduite des affaires mondiales, au risque d’affaiblir encore davantage le système onusien, mais sans véritablement être à même d’assumer un leadership clair, faute de vision commune sur les voies à suivre. Cette absence de vision commune se reflète aussi dans les institutions internationales de Genève. En leur sein, l’établissement de priorités partagées est parfois difficile.
La cohabitation de nombreux acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux sur la scène internationale est par ailleurs une réalité qui ne fera que se renforcer. Les Etats n’ont plus le monopole des relations internationales. La plupart des thèmes internationaux font appel à un nombre de plus en plus grand d’acteurs, de différentes origines géographiques, de nature juridique plus complexe, venant de secteurs d’activité très variés. Bien d’autres acteurs déploient leur action : les ONG, le monde académique et scientifique et le secteur privé. Leurs intérêts peuvent diverger et leurs méthodes différer. Cette réalité se retrouve dans les organisations internationales. Le modèle classique de l’OI exclusivement interétatique cède le pas à des formes institutionnelles plus complexes où l’actionnariat est représenté par les Etats, mais aussi par les ONG, les fondations et, dans certains cas, le secteur privé. A Genève, cette évolution est particulièrement marquée (Fonds Global, GAVI, ONUSIDA). L’évolution des organisations internationales se fera de plus en plus selon ces modèles, à savoir une structure plus souple, un actionnariat composite, un budget complexe, des structures en partie éclatées avec une partie des services de soutien délocalisés loin du siège.
-Les nouvelles technologies :
Les nouvelles technologies modifient la manière d’agir dans les relations internationales. L’information est plus rapide, l’analyse peut être plus large et participative, l’influence des médias et des mouvements d’opinion plus déterminante. Le travail en réseau est rendu possible et se développe de manière marquée et constante. Cette évolution tend à réduire l’importance d’une localisation géographique déterminée, la force du réseau étant de faire appel à un nombre important de contributions d’où qu’elles viennent et à tout moment. La diplomatie multilatérale, influencée par cette évolution, doit en tenir compte et exploiter ces nouvelles orientations. Le réseau devra vraisemblablement disposer d’une tête, d’un hub, qui lance la coopération, rend opérationnelles les données et fournit les infrastructures technologiques. Un centre international bien équipé en infrastructures, où la présence des acteurs déterminants et reconnus pour leur compétence est importante, peut tirer avantage des nouvelles technologies en développant son rôle de hub dans une approche en réseau. Ceci valoriserait l’apport de Genève aux débats internationaux et rendrait moins impérieuse la nécessité d’attirer vers une localisation géographique déterminée toutes les nouvelles entités qui se créeraient dans un domaine donné. L’approche en réseau permettrait par ailleurs d’associer un nombre plus important de participants, notamment des pays émergents et en développement, tout en favorisant les rencontres physiques régulières, ce qui permettrait à Genève de bénéficier également de l’impact économique et politique résultant de ces rencontres.
-Les organisations non gouvernementales (ONG) :
Les ONG sont devenues des acteurs incontournables de la gouvernance mondiale. Elles apportent une expertise technique et une connaissance des réalités du terrain et un contrôle qui contribuent à la qualité des décisions prises au sein des instances internationales. Cela se manifeste à Genève par la présence d’environ 400 ONG, dont 250 bénéficient du statut consultatif auprès de l’ECOSOC et 114 occupent régulièrement du personnel rémunéré, sans compter les nombreuses organisations qui se rendent à Genève, ponctuellement ou régulièrement, pour assister à des conférences et à des évènements particuliers. Selon une forme de gentlemen’s agreement passé entre la Confédération et le canton de Genève, l’accueil et le soutien aux ONG sont du ressort du canton. On constate cependant que les ONG ont de plus en plus d’attentes, tant à l’égard de la Confédération, du canton et de la Ville de Genève, que ce soit en matière d’infrastructures, de mise à disposition de formations destinées à renforcer leurs capacités à effectuer un travail de qualité ou encore en matière de visa et de permis de travail.
-Les médias et la visibilité de la Genève internationale :
Alors que Genève est un laboratoire unique de la gouvernance mondiale, la présence des grands médias internationaux, ainsi que leur attention pour les thèmes traités à Genève, a faibli ces dernières années, et se tourne surtout vers des événements spectaculaires, à l'image des rencontres politiques de haut niveau ou des conférences sur des sujets sensibles. L’évolution de la présence médiatique à Genève est donc caractérisée par une baisse du nombre de correspondants présents (qui couvrent d’ailleurs souvent plusieurs pays en Europe), ainsi que par une diminution des correspondants attitrés des différents médias en faveur des agences de presse. Ceci avec la notable exception des médias chinois. Les médias jouent pourtant un rôle important dans la connaissance et le regard extérieur qu'ils portent sur le travail des OI. Le contexte est aussi marqué par le développement des réseaux sociaux et de l'information à la carte, au détriment des médias traditionnels. La plupart des OI et des grandes ONG installées à Genève se sont engagées dans cette voie et se créent ainsi de nouvelles possibilités de communication avec un large public. Outre les médias, les autorités hôtes ont également un rôle d'information et de promotion à jouer. Compte tenu des enjeux que la Genève internationale représente, tant pour le canton que pour la Confédération, les publics locaux doivent avoir accès à une information qui permette de saisir ces défis, malgré le caractère souvent complexe des activités des OI. En outre, les autorités hôtes ont une vision d'ensemble de la Genève internationale qui leur permet de mettre en valeur ses atouts auprès de ses acteurs eux-mêmes. Ceux-ci, en effet, évoluent souvent dans un environnement limité à une ou deux institutions, qui ne leur permet pas d'avoir connaissance des ressources potentiellement utiles dans d'autres institutions pourtant voisines. Les publics cibles des efforts de communication des autorités hôte sont donc à la fois genevois, suisses et internationaux.
-La concurrence des autres villes internationales :
Outre la tendance à la centralisation de l'ONU autour du siège de New York, d'autres villes sont apparues ces dernières années comme des concurrentes de la Genève internationale. Montréal, la Haye, Bonn ou Vienne se donnent en effet les moyens de développer des infrastructures spécifiquement destinées aux organisations internationales et d'en faire la promotion à travers des organismes spécialement créés à cet effet. Plus à l'est, et de façon plus ponctuelle, des efforts considérables ont été déployés ces dernières années pour attirer des entités internationales à Budapest (HCR), Abu Dhabi (Irena) ou Songdo (Green Climate Fund). D'autres exemples peuvent être cités. Le Danemark a ainsi offert USD 100’000 par postes de travail, ainsi que la gratuité des locaux pendant 10 ans pour la délocalisation de l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance) à Copenhague. Les Philippines ont quant à elles offert la construction de nouveaux bâtiments avec une utilisation gratuite des locaux de travail et la gratuité des loyers des fonctionnaires pendant 10 ans pour la délocalisation de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) à Manille. Depuis 2008 à Genève, il y a eu 21 délocalisations partielles, mais également 18 installations. Le secteur qui a subi le plus de délocalisations, 10 depuis 2008 et seulement 3 installations, est le cluster humanitaire, droits de l’Homme et migrations, qui est pourtant considéré comme une exclusivité genevoise. Le secteur ayant bénéficié du plus grand nombre d’installations, 6 (4 OI et 2 ONG) depuis 2008, est celui qui touche à l’environnement et au développement durable. Il est à noter que dix représentations étrangères se sont installées, contribuant à l’universalité de la Genève internationale. La destination des délocalisations est généralement New York ou les villes concurrentes européennes, Copenhague, Bruxelles Paris, Turin, Budapest et Istanbul, mais également les villes des pays émergents, Manille, Kuala Lumpur, Bangkok, Nairobi. Les activités délocalisées sont principalement du ressort administratif, informatique, logistique et financier, mais concernent parfois des secrétariats. C'est donc, en majorité, le personnel administratif qui est déplacé ou remplacé. Certaines catégories de professionnels ou d’analystes sont également touchées. Finalement, les raisons invoquées sont avant tout d’ordre financier, comme la réduction des coûts de fonctionnement et de gestion, mais peuvent aussi être stratégiques, à savoir une volonté de regroupement ou de rapprochement du terrain.
D’autres défis d’ordre matériel auxquels la Genève internationale est confrontée concerne notamment la cherté de la vie à Genève, l’entretien des infrastructures vieillissantes des OI, le coût élevé de la vie, des salaires onusiens qui, avec l’affaiblissement du dollar, ont été réévalués par rapport aux autres lieux d’affectation, ainsi que la dégradation de la situation sécuritaire générale en Suisse et à Genève. S’y ajoute la pénurie de logements vacants sur un marché immobilier tendu, problèmes de la délivrance de visas, l’accompagnement protocolaire ou la disponibilité de places de crèches, la sécurité.
04-La stratégie de la Confédération Suisse pour soutenir la Genève internationale
Afin d’assurer le futur de Genève, voire de la Suisse, en tant que centre de gouvernance globale, une stratégie s’articulant autour de piliers principaux et matérialisés par six axes est proposée pour répondre à ces défis. Le premier pilier ("hardware") porte sur le renforcement des instruments déjà utilisés dans le but de les compléter et les rendre encore plus efficaces. Le deuxième pilier ("software") se concentre sur le développement des capacités de formation, de réflexion et de savoir-faire genevois et suisse relatives à la gouvernance globale en vue de développer une vision à long terme. Le catalogue de mesures présenté ci-dessous illustre la manière dont la nouvelle stratégie visant à renforcer l’attractivité et la compétitivité de la Genève internationale peut être mise en œuvre :
-Mesure à court et moyen terme (2 à 3 ans) .
-Mesure à moyen et long terme (5 à 10 ans) .
Cette stratégie est déclinée selon six (06) axes et trente-et-un (31) mesures :
Axe n°1: Renforcer le dispositif d’accueil.
Axe n°2: Développer le réseau de formation, réflexion et savoir-faire genevois/suisse.
Axe n°3: Viser à l’universalité des représentations des Etats.
Axe n°4: Promouvoir les partenariats.
Axe n°5: Améliorer la communication de et sur la Genève internationale.
Axe n°6: Mener une action coordonnée et informée.
Les 31 mesures retenues visent à faire fructifier les atouts de la Genève internationale et à répondre aux défis susmentionnés. Leur but n'est pas d'augmenter la quantité des acteurs de la Genève internationale, mais de développer la Genève internationale et son avenir, qualité de leur travail en s'assurant qu'ils disposent des ressources nécessaires.
-Bibliographie :
- Genève histoire d’une vocation internationale. JoeleKuntz – édition ZOE. Ouvrage édité à l’initiative et le soutien de la république et canton de Genève.
- Genève coopération internationale : des solutions pour un monde meilleur. Editeur bureau du délégué à la Genève internationale. République et canton de Genève.
- Impact de la Genève internationale sur l’économie et les finances suisses et du grand Genève. Résultat 2012. Université de Genève. Faculté d’économie et de management. Laboratoire d’économie appliqué.
- Document portant entente entre la confédération suisse représenté par le département fédéral et la confédération des affaires et la république et canton de Genève concernant le groupe permanant conjoint sur les priorités de la Genève internationales. Département fédéral des affaires étrangères. DFAE - 2012.
- Evaluation de la loi sur les relations et le développement de la Genève internationale. Sur mandat du contrôle de la commission de contrôle de gestion du grand conseil Genève le 20 décembre 2012. Commission externe d’évaluation des politiques publiques - république et canton de Genève.
-Rapport du grand conseil d’Etat au grand conseil sur l’état de la coopération internationale pour l’année 2013. Date de dépôt , 11 juin 2014.
- Informations statistiques : les organisations internationales établies à Genève : résultat de l’enquête 2015. Office cantonal de la statistique. Département présidentiel. 2015.
- Centre d’accueil Genève internationale. CAGI -rapport d’activité 2017.
- L’ONU Genève change. Rapport annuel 2017. Publication nation -unis. - Message concernant les mesures à mettre en oeuvre pour renforcer le rôle du suisse comme état hôte pour la période 2020-2023. 20 février 2019. Le président de la confédération Ueli Maurer , le chancelier de la confédération : walterthurnherr.
- Loi sur les relations et le développement de la Genève internationale. Publié le 02 décembre 2004, entré en vigueur le 01 mars 2005.
- Politique étrangère suisse : nouvelles orientations. In politiques de sécurité. Analyse du CSS. N° 44, novembre 2008, 3eme année.
- Tables rondes du club suisse de la presse, autour du thème : « l’image de la Genève internationale ». Modéré par Luisa Ballin.
- Emission spéciale : réinventer l’esprit de la Genève internationale. RTS et TV5 monde. Le 12 septembre 2017.
- La Genève internationale, un atout suisse. Proposition pour un suisse plus influente. Papiers de discussion foraus - forum de politique étrangère N° 18, novembre 2013
- Le conseil soutient la création d’une fondation « Geneva Science and DiplomacyAnticipator ». Communiqué de presse du conseil de l’Etat. Au côté du conseil fédéral et du conseil de la ville et du conseil administratif de la ville de Genève. Genève 20 février 2019. République et canton de Genève. Services communication et information.
- Finance durable : un pont entre la Genève financière et la Genève internationale .Yves Mirabaud , président de la fondation Genève place financière . Opinion publié dans le temps -23 septembre 2019.
- Site internet officiel de la Genève internationale.
Atbane Samir
Chercheur universitaire. Décembre 2022.